Énigmes médicales > La toxémie gravidique

L’organisme de la mère et celui du fœtus sont différents du point de vue génétique. La majorité des grossesses se déroulent bien, le fœtus étant toléré par l’organisme de la mère. Néanmoins, ces différences sont parfois à l’origine de réactions immunitaires qui mènent soit à la destruction du fœtus par les anticorps de la mère, soit à la toxémie gravidique chez la mère.

Le placenta qui protège le fœtus, et qui le sépare de l’organisme de la mère, constitue une barrière immunologique. Mais cette barrière n’est pas totalement étanche. Elle fonctionne comme un filtre qui retient des substances indésirables, et qui laisse passer vers le fœtus les nutriments, l’eau et l’oxygène, ainsi que les anticorps de la mère. C’est pourquoi, d’une part, certaines substances toxiques de petit poids moléculaire ou très solubles dans le sang peuvent infiltrer le placenta et causer des dommages chez le fœtus, et d’autre part, on peut retrouver des antigènes du fœtus dans le sang de la mère. De plus, il est normal de détecter des érythrocytes du fœtus dans le sang maternel chez 30% des femmes enceintes à partir du septième mois de grossesse,et ce pourcentage augmente au fur et à mesure que la fin de la grossesse approche.

Les substances suivantes sont impliquées dans l’interaction chimique entre la mère et le fœtus :

– des anticorps maternels, mais uniquement ceux qui peuvent se lier aux antigènes du fœtus comme anti-D, anti-A, anti-B, anti-C, anti-c, anti-E, anti-e, anti-Le (Lewis), anti-K (Kell), anti- MN, anti- Duffy, anti-Lu, anti- Jka/Jkb ;

– des antigènes présents sur les érythrocytes et dans les liquides biologiques du fœtus, mais uniquement ceux qui peuvent se lier aux anticorps de la mère ;

– les protéines du complément présents dans le sérum (C 1 – C 9).

Les substances énumérées ci-dessus sont à l’origine de la maladie hémolytique du nouveau-né et de la toxémie gravidique. Les anticorps naturels anti-A, anti-B et anti-H appartiennent à la classe IgA ou IgM. Ils ne traversent pas la barrière du placenta, sauf certains anticorps naturels anti-A de classe IgA qui sont de très petite taille : ils peuvent franchir le placenta, et affecter le fœtus.

Voici quelques illustrations des cas d’interactions antigéniques entre le fœtus et la mère:

Fig. 1. : La mère et le fœtus sont non sécréteurs. Le sang de la mère contient des antigènes étrangers, provenant d’autres individus, car il y a présence d’anticorps de classe IgG. Ces anticorps peuvent se lier à des antigènes sur les érythrocytes du fœtus.

Dans le cas présenté ci-dessus, les anticorps de classe IgG infiltrent le placenta, et ils se retrouvent dans le sang du fœtus. Les anticorps se lient aux antigènes sur les érythrocytes, et si le potentiel zêta est bas, les érythrocytes s’agglutinent. Des amas d’érythrocytes bouchent des capillaires, et en conséquence, ils perturbent l’alimentation en oxygène du fœtus.

Au final, les érythrocytes agglutinés, en présence de complément, subissent l’hémolyse qui provoque diverses complications selon l’intensité des réactions, telles qu’une destruction progressive du fœtus, une fausse couche ou bien la maladie hémolytique chez le nouveau-né. La maladie hémolytique du nouveau-né se manifeste par l’apparition d’œdèmes, d’ictères, d’anémie, d’insuffisances cardiaques, de séquelles neurologiques.

La maladie hémolytique du nouveau-né est plus fréquente chez les mères ayant subi des transfusions de sang ou un avortement. Elle est également favorisée par la multiparité. Tous ces facteurs multiplient les risques d’une sensibilisation par des antigènes d’origine humaine.

Fig.: 2. La mère est sécréteuse de certains antigènes présents sur ses érythrocytes, mais qui sont absents sur les érythrocytes du fœtus. Ces antigènes sont des haptènes simples (2) ou complexes (3).

Dans ce cas-là, les haptènes de la mère passent dans le sang du fœtus où ils peuvent être librement suspendus dans le plasma ou bien se lier à des membranes des érythrocytes et changer leurs déterminants antigéniques. Ce sont les seuls réactions biochimiques possibles car le fœtus ne produit pas d’anticorps au début de son développement. Par conséquent, les signes d’interaction chimiques entre la mère et le fœtus ne sont pas marqués. Mais, lorsque la grossesse est avancée, l’étanchéité du placenta est moins bonne, et c’est pour cette raison, le fœtus risque d’être sensibilisé par divers antigènes provenant de la mère.

Certains anticorps sont fabriqués par l’organisme de l’enfant après la naissance, par exemple, les anticorps du système Rhésus.Hindemann P. a été le premier à démontrer que, dans le cas où la mère possède les antigènes (Rh +), 5% des enfants dépourvus d’antigène Rh (Rh-) développent les anticorps anti-Rh six mois après leur naissance. Bowen et Renfield, qui ont utilisé des méthodes plus précises, ont constaté que 11% des enfants étaient sensibilisés.

Fig. 3 : La mère est non sécréteuse et le fœtus est non sécréteur. Dans le sang maternel, les anticorps de classe IgA (4) et IgM (5) sont présents. Admettons que ces anticorps puissent se lier avec les antigènes du fœtus.

Dans ce cas-là, aucune réaction biochimique nocive ne se produira pas car les anticorps IgA et IgM (sauf les plus petits anticorps IgA) ne passent pas la barrière placentaire. La grossesse se déroule bien.

En fin de grossesse, les érythrocytes du fœtus peuvent parfois passer dans le sang de la mère car le placenta est alors moins étanche. Mais le plus grand risque a lieu au cours des avortements, des césariennes ou les extractions manuelles du placenta car le sang de la mère et celui du bébé sont en contact, et une sensibilisation de la mère par les antigènes du fœtus peut avoir lieu.

Les femmes qui accouchent une première fois ne sont pas en général sensibilisées par des antigènes humains, et le premier enfant est rarement touché par la maladie hémolytique du nouveau-né.

J’aimerais ici souligner que certains anticorps naturels anti-A de classe IgA ont une masse moléculaire de 160 kD, et leurs dimensions se rapprochent de celles des anticorps immuns de classe IgG, capables de traverser la barrière du placenta et entraîner le conflit sérologique causé par l’incompatibilité érythrocytaire dans le système ABO. Ce risque existe lors de la première grossesse, et concerne surtout les femmes de groupe sanguin 0, enceintes d’un enfant de groupe sanguin A1.

Fig. 4: La mère est sensibilisée : elle a les anticorps immuns de classe IgG. Ces anticorps passent la barrière placentaire. Ils sont capables de se lier avec les antigènes du fœtus. Le fœtus est sécréteur et ses antigènes passent dans le sang de la mère. Des réactions biochimiques peuvent se produire des deux côtés de la barrière placentaire.

Chez la mère, les anticorps liés avec les antigènes du fœtus forment des complexes immuns, et ces anticorps sont ainsi bloqués. Mais, une certaine quantité d’antigènes peut recouvrir les érythrocytes de la mère. Et si le potentiel zêta est faible, une faible hémagglutination et une hémolyse peuvent survenir.

Chez le fœtus, les anticorps maternels et les antigènes solubles du fœtus créent des complexes immuns. Ainsi, une partie d’anticorps est bloquée. Une autre partie des anticorps peut se lier avec des antigènes sur les érythrocytes. Et si le potentiel zêta est faible, une faible hémagglutination et une hémolyse peuvent survenir.

La capacité de sécrétion d’antigènes chez le fœtus constitue une relative protection contre l’hémagglutination et l’ hémolyse, ce qui facilite le développement normal du fœtus et, en même temps, elle neutralise l’action agressive des anticorps maternels.

Fig.: 5: La mère est non sécréteuse, et elle possède les anticorps naturels de classe IgA et IgM. Admettons que ces anticorps puissent se lier avec les antigènes du fœtus. Le fœtus est sécréteur d’haptènes (d’antigènes).

Les haptènes du fœtus traversent le placenta, et ils provoquent les réaction biochimiques suivantes dans le sang de la mère :

– les haptènes simples bloquent les anticorps ;

– les haptènes simples en se liant avec les anticorps forment des complexes immuns qui sont ensuite détruits par les macrophages ou déposés dans des tissus de l’organisme où ils entraînent des dommages comme les inflammations, les cancers ;

– les haptènes simples et les haptènes complexes peuvent recouvrir les membranes des érythrocytes.

Les érythrocytes recouverts par les haptènes acquièrent de nouveaux caractères puisque leurs déterminants antigéniques sont transformés et reconnus comme étrangers. Ils deviennent la cible des anticorps qui, en se liant avec ces érythrocytes , créent des agrégats cellulaires. Ces amas de cellules bouchent les capillaires en entravant l’alimentation des tissus en oxygène ce qui aboutit à l’apparition des symptômes suivants : somnolence, nausées, vomissements, œdèmes, maux de tête, troubles visuels, irritabilité, tension nerveuse. Ces symptômes présents au cours de la toxémie gravidique peuvent être observés chez 5 % à 8% des femmes enceintes, et ils s’aggravent au fil du temps. Au troisième mois de grossesse, chez 1% des femmes enceintes, une crise convulsive suivie de coma , dangereux pour la vie de la femme et celle du fœtus, peuvent survenir. Les symptômes de moindre gravité, tels que la somnolence, la fatigue et des nausées une fois par jour, sont sont considérés comme normaux pendant la grossesse. Les érythrocytes agglutinés subissent une hémolyse qui provoque parfois une anémie.

Chez les femmes qui ont avorté ou qui ont connu des complications lors des précédents  accouchements (l’accouchement par forceps, par césarienne, etc.), la production d’anticorps immuns peut être stimulée par les antigènes des bébés bien après l’accouchement.

Les conclusions

  • L’intensité des réactions biochimiques dans le sang de la mère et celui du fœtus dépend du taux d’anticorps, d’antigènes immuns et d’haptènes qui y participent.
  • Les primipares (les femmes qui accouchent pour la première fois) n’ont le plus souvent pas d’anticorps immuns contre les antigènes humains, donc leurs bébés ne sont pas si souvent touchés par la maladie hémolytique du nouveau-né. Mais, elles souffrent plus souvent de toxémie gravidique car leurs anticorps naturels sont dirigés contre les antigènes du fœtus.
  • Les multipares (les femmes qui ont accouché plusieurs fois) sont très souvent sensibilisées par les antigènes humains , c’est pourquoi leurs bébés sont plus souvent affectés par la maladie hémolytique du fœtus et du nouveau-né.

Les anticorps naturels anti-A ou anti-B, présent dans le sang de la mère, ne passent pas la barrière placentaire  (sauf certains anticorps naturels de classe IgA), et ils ne constituent pas de danger pour le fœtus qui peut se développer normalement. Après l’accouchement, c’est avec le lait maternel que le bébé absorbe des anticorps, et leur taux est plus élevé dans le lait que dans le sérum. Apparemment, le lait maternel n’est donc pas un aliment idéal pour certains nouveau-nés. Dans la littérature scientifique médicale, sous le terme de „anticorps maternels”, on trouve une information que les anticorps transmis par la mère via le placenta ou le lait peuvent provoquer : hypogammaglobulinémie, neutropénie, lupus néonatal, hyperthyroïdie, thrombopénie, maladie hémolytique du nouveau-né ou crétinisme.

Enfin, je suppose que les anticorps contribuent à l’apparition de la paralysie cérébrale chez les nouveau-nés.

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